Flashback… Eté 2009. Mon homme décroche son diplôme. Le lendemain, il a une offre de la part d’une des entreprises avec lesquelles il était en processus de recrutement pendant ses exams : il commence son premier emploi à Londres dans 4 semaines.
4 semaines c’est court, et je suis au chômage partiel depuis des mois… pas envie d’y rester, Londres se présente comme une fantastique opportunité car la fameuse crise de fin 2008 n’a pas autant touché le Royaume-Uni que la France. Alors mon premier réflexe, c’est d’appeler mon contact RH dans la dernière société pour laquelle j’ai travaillé à Paris, qui n’est autre que le groupe L’Oréal où j’ai fait un apprentissage d’un peu plus d’un an – une année dont je garde un super souvenir, et je ne dis pas ça parce que mon ancienne responsable me lit ! :) Il promet de faire passer mon CV à son homologue londonien. Je raccroche, pleine d’espoir, en me disant que si j’ai réussi à intégrer cette prestigieuse entreprise à Paris qui reste plutôt la chasse gardée d’une poignée d’écoles de commerce, alors en Angleterre, où c’est plutôt l’expérience et la motivation qui comptent, je devrais réussir à trouver quelque chose sans trop de problème. Petit détail qui me motive encore plus à réintégrer le groupe : nous trouvons notre premier appart’ londonien à Fulham, à 30 minutes à pieds du siège londonien de L’Oréal (le luxe ultime dans une ville de la surface de Londres) !
Quelques mois plus tard, et malgré diverses tentatives de faire s’entr’ouvrir les portes, rien ne se passe. C’est alors qu’un cabinet de recrutement me met au parfum : le bureau londonien de L’Oréal avait, par le passé, recruté des expats’ français à tour de bras, et avait décidé d’arrêter ça afin de se focaliser sur un recrutement British. Ce qui m’est confirmé par une connaissance anglaise, candidate à un stage en RH quelques mois plus tard, où le cas pratique qu’on lui a posé était le suivant : « Quelles initiatives mettriez-vous en place pour attirer plus de candidats britanniques masculins ( ! ) à postuler chez L’Oréal ? ». Au moins, c’était clair – j’ai donc définitivement (dans les sens français et anglais du terme – qui sont toutefois différents, je le rappelle) tiré un trait sur un potentiel retour chez mon ancien employeur.
Un peu plus tard, j’ai enfin trouvé un travail et unes des premières tâches qu’on me donne est d’analyser les raisons de l’échec de notre lancement de rouge à lèvres qui a eu lieu un peu avant mon arrivée. Une des raisons qui me saute aux yeux est la promotion de L’Oréal Paris qui a eu lieu en même temps que la nôtre, pour un gloss tout ce qu’il y avait de plus banal, mais avec comme égérie une starlette dont je n’avais jamais entendu parler auparavant : Cheryl Cole. Et forcément, vu le budget de la machine loréalienne, on a mangé du Cheryl Cole à toutes les sauces pendant des semaines : Cheryl Cole sur des stickers collés aux sols des Boots & Superdrug, Cheryl Cole sur des cubes en carton disséminés un peu partout dans les magasins, Cheryl Cole en pub télé, Cheryl Cole en pub presse, Cheryl Cole sur Facebook, Cheryl Cole sur des éditions limitée de la laque Elnette vendue à cette période (WTF?), et, the icing on the cake, L’Oréal Paris essayait même de faire croire aux consommatrices que Cheryl Cole avait « créé » la teinte Cassis de ce gloss, entraînant évidemment des ruptures de stock sur cette référence…
En France, on s’en balance un peu, mais comme je vous l’avais brièvement raconté dans un précédent billet, ici, Cheryl est la chouchoute des Britanniques. Déjà, elle est tout ce qui fait rêver l’Anglaise moyenne : épouse (enfin, ex maintenant) de footballeur, chanteuse dans un girl band et présentatrice de la version UK de l’émission X Factor. La classe, non ? En plus, elle est tellement jolie – une fois coiffée par les plus grands coiffeurs, maquillée par les plus grands maquilleurs et abondamment retouchée par la dernière version de Photoshop. Pour couronner le tout, elle sort du lot avec ses yeux marron et ses cheveux bruns, et elle fait tellement authentique avec son accent « geordie » c’est-à-dire de Newcastle (voir la vidéo ci-dessous). Britannique, riche, célèbre, jolie, tout en étant « proche des gens » : une celeb comme on les affectionne ici. Bref, on ne critique pas Cheryl – mon énervement au sujet du personnage ne fait que renforcer les clichés qu’ont mes collègues des Français: on râle tout le temps, on se plaint de tout. Tant pis.
Du coup, Cheryl Cole est un choix parfait pour une marque française qui a envie de se faire une place dans le répertoire des consommatrices britanniques. Signe qui ne trompe pas : dans les publicités signées L’Oréal Paris, la voix off oublie malencontreusement le « Paris » alors qu’il fait partie du logo. Ils ont donc bien fait d’arrêter d’embaucher des franchouillards qui n’auraient certainement pas eu cette drôle d’idée. Mais mauvaise langue mise à part, force est de constater que cette stratégie paye : L’Oréal Paris est en croissance constante au Royaume-Uni, et cette tactique d’anglicisation fonctionne super bien. La preuve apportée par une analyse faite par une de mes collègues de travail : à chaque promotion où l’égérie était Cheryl Cole, L’Oréal Paris a réalisé des performances hors du commun. Je vous avais parlé en détail de cet aspect de la stratégie de Rimmel London, marque fondée par un Français, possédée par un groupe franco-américain, mais qui affiche tellement de drapeaux britanniques sur ses produits et publicités qu’une chose équivalente en France entraînerait une demande de pénalités par SOS-Racisme. La marque américaine Revlon commence aussi à aller dans ce sens, en sponsorisant depuis deux ans l’émission Britain’s Next Top Model, ce qui lui permet d’utiliser, un mois par an, un mannequin britannique plutôt qu’américain pour ses campagnes.
Pour en revenir à L’Oréal Paris, ce qui a déclenché mon envie d’écrire ce billet, est un lancement qui marque l’apothéose de l’adaptation de la marque au marché britannique. En effet, le mois prochain sera lancée une teinte spéciale dans la gamme Color Riche, créée par Cheryl Cole (rupture de stock envisageable…), en série limitée (…rupture de stock possible…), le tout issu d’un partenariat entre les associations caritatives The Cheryl Cole Foundation et The Prince’s Trust (…rupture de stock assurée !). Bravo L’Oréal Paris, tous les ingrédients qui déclenchent un achat automatique de la part des consommatrices britanniques sont là : égérie locale, série limitée avec un packaging un peu différent, association caritative, lien avec la royauté (The Prince’s Trust est une association du Prince Charles destinée à aider les jeunes défavorisés). Bref, L’Oréal Paris démontre une compréhension parfaite des consommatrices britanniques… parce qu’elles le valent bien !
Crédit photo : BritishBeautyBlogger